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Clarinette Gentellet Presteau

La clarinette présentée est dans son état d’origine et n’a jamais été restaurée. Elle a été fabriquée au milieu de 19ème siècle par GENTELLET-PRESTEAU, successeur de GENTELLET. Sa marque au fer est apposée sur tous les corps, comme le veut l’usage. Sa remarquable lisibilité indique une faible usure comme l’atteste le bon état général de l’instrument : pas de fentes, ni manques, ni de parties refaites, des ressorts et des tampons de clefs originaux. La patine du temps a coloré le buis en lui donnant cette teinte légèrement brun-orangé chaude, contrastant agréablement avec la teinte de l’ivoire légèrement jauni. Un tel état de bonne conservation en fait un instrument recherché par les collectionneurs. 

A la fin du 18ème siècle, les clarinettes étaient munies de cinq clefs, système notamment amélioré par l’adjonction de clefs supplémentaires. Elles en possèdent treize dans le modèle conçu par Yvan Muller en 1812. Ce système permet de jouer dans toutes les tonalités. Il offrira la possibilité aux musiciens d’exceller en virtuosité dans la forme du concerto lors de solos instrumentaux, très prisés du public dans la première moitié du 19ème siècle. Le corps de l’instrument est alors en buis, bois dur et indigène, résistant à l’humidité contenue dans le souffle de l’instrumentiste. Les assemblages sont renforcés par des bagues en corne ou en ivoire pour les instruments les plus chers. En 1814, le comité d’approbation du conservatoire de musique de Paris valide la nouvelle clarinette et son usage au conservatoire. Dans sa méthode de 1821, Muller annonce qu’il confie la fabrication de sa clarinette à GENTELLET. Muller reçoit une médaille de bronze en 1823 pour une clarinette à treize clefs exposée aux produits de l’industrie. Les clefs sont en laiton montées sur pivot, de forme « pelle à sel », rembourrées de laine recouverte d’un cuir tendre, de boyau ou de peau de poisson. Elles viennent s’appuyer sur un alésage plongeant à bords horizontaux réalisé dans le corps de l’instrument, autour du trou d’intonation. Le bec est en ébène, munie d’un nouveau système de ligature de l’anche en métal.

La clarinette à treize clefs a connu par la suite un succès immense. Giovanni Battista Gambaro et Frederic Beer, virtuoses  de l’époque, adoptent le système et participent à sa popularité. Elle a été utilisée dès lors aussi bien par les musiciens professionnels, artistes et musiciens militaires, que par les nombreux amateurs constituants les harmonies, orphéons et diverses sociétés musicales, véritable phénomène de société dans la seconde moitié du 19ème siècle. Afin de satisfaire à une demande toujours croissante d’instruments, la facture instrumentale a connu un essor sans précédent. Le nombre de fabricant a été en constante augmentation avec une réorganisation radicale des structures de travail


Jazz-band tricolore circa 1920

Le jazz est arrivé en France en 1917 avec l’orchestre du 369iem régiment d’infanterie de l’armée Américaine, les désormais célèbres Harlem hellfighters, les combattants de l’enfer, tous d’origine afro-américaine. Le chef de la musique était James Reese EUROPE, musicien renommé de ragtime et de jazz, qui avait spécialement composé un « hellfighter band » de 44 musiciens noirs et portoricains venus de New-York, Chicago et de la Nouvelle Orléans. Dans leurs musettes, de la musique afro-américaine, du jazz et du swing, destinés à remonter le moral des troupes. Le 12 février 1918, l’orchestre a donné le premier concert de jazz au théâtre de Nantes. A la demande de John Pershing, commandant du corps expéditionnaire Américain en Europe, la formation a effectué une tournée d’une vingtaine de ville de garnisons, apportant de l’énergie aux soldats et faisant découvrir rythmes afro, syncopés et entrainants au public français.

James Reese EUROPE (à gauche) avec l’orchestre du 369e régiment d’infanterie. Une grosse caisse de « jazz-band » à son pied gauche.

Après-guerre, Paris attirait ces musiciens désireux de nouvelles libertés et d’une vie sociale échappant à la ségrégation raciale américaine. La musique Jazz, associée aux années folles et à la découverte de la culture africaine, a fait l’objet d’un véritable fait de société, dont les figures emblématiques furent incarnées par la danseuse et chanteuse Joséphine Baker et par le musicien Sydney Bechet.

Affiche du spectacle du théâtre des Champs-Elysées avec Joséphine Baker, en 1925.

La batterie est arrivée en France avec le Jazz. Elle a particulièrement illustré ce nouveau style musical. Parmi les musiciens des Harlem hellfighters se trouvait Buddy Gilmore, qui a fait une belle carrière de batteur et a joué un rôle actif dans la popularisation de la batterie, notamment à Paris avec le « southern syncopated orchestra » dirigé par Will Marion Cook, et en faisant la promotion des jazz-bands pour la fabrique d’instruments Couesnon.

Affiche représentant Buddy Gilmore.

La particularité du Jazz-band par rapport aux percussions traditionnelles tient du fait de la réunion de divers effets sonores autour d’une grosse caisse mise en percussion par l’usage du pied. Appelée « trap set » aux Etats-Unis, elle est devenue « jazz band » ou « jazz » en France avant de s’appeler définitivement batterie à la fin des années 30.

jazz band tricolore

Le jazz-band présenté est de marque Tricolore et a été fabriqué à Paris dans les années 20. Il est muni d’une grosse caisse et de sa pédale, d’une caisse claire, de deux cymbales dont une montée sur ressort, d’un petit xylophone et d’un tambourin muni de cymbalettes, ainsi que d’une paire de baguettes. Il est un beau témoignage des débuts du jazz en France.


Guitare jazz manouche Di Mauro

Le téléphone sonne. « Didier ? » c’est C…., le brocanteur, Je viens de rentrer une vieille gratte, une folk je crois. « Ça t’intéresse ? Tu peux passer maintenant ? »
Au milieu du bric à brac et de la poussière, j’ouvre la boite en bois faite maison. C’est toujours un moment particulier, l’ouverture de la boite. Mon intuition me dit que ce sera une belle découverte. Je découvre la guitare, toute fatiguée d’avoir trop dormi, meurtrie par ses cordes restées tendues trop longtemps. Je reconnais immédiatement le modèle fabriquée par Antoine Di Mauro. La table n’est pas fendue, ouf! Le manche a travaillé en creux, pas étonnant d’autant plus qu’à l’époque à laquelle elle a été fabriquée, il n’y avait pas de truss rod à l’intérieur. Je tourne les mécaniques pour la soulager, ça va mieux, elle respire, libérée. Je n’ose pas la faire sonner, elle a besoin de souffler un peu. Il y a un banjo français 6 cordes à côté, plus ancien que la guitare, en très bel état si ce n’est sa peau qui est déchirée. Je découvre les photos « orchestre des Célestin’s jazz, Mr Vichy chef d’orchestre, année 1927 ». Je reconnais immédiatement le banjo, puis sur une autre photo plus tardive, la guitare. Je suis submergé par l’émotion. Le jazz s’invite dans mon oreille interne. 1927, deux ans après l’arrivée de Joséphine Baker à la Revue nègre du Théâtre des Champs-Élysées ! Les années folles ! Deux avant le krach…Sous mes yeux, le septuor s’éclate. La section de cuivre se déchaine sur le rythme scandé par la batterie et le banjo. Le pianiste manie le ragtime sous le bout des doigts. Le banjoïste a le sourire. Je le retrouve sur les autres photos, un peu vieilli, comme ses amis. Sur la troisième photo, le temps est encore passé, le banjo a laissé place à la guitare, l’accordéon, la flûte et la clarinette amènent de nouvelles couleurs. L’orchestre, porté par la mode, s’est adapté aux nouvelles danses. J’entends les sax aux couleurs chaudes et sensuelles ainsi que les clarinettes jouer les mélodies de Benny Goodman.

« T’es où là ? » la voix du broc me ramène au présent. On discute, je fais une offre, on discute, la négociation est difficile, ok marché conclu, je paye en espèces, avec facture.
J’ai laissé la guitare tranquille quelques jours dans mon bureau. Au début elle a dû être un peu intimidée, avec tous les autres instruments qui la regardaient. Un matin, elle m’a demandé. Moi aussi j’ai demandé, au banjoïste, si je pouvais m’en approcher. Toute cette intimité à partager, ça demande des manières. Il m’a dit oui, du fond de ses yeux de photographié. En la prenant dans mes bras, je me suis uni à cet homme dont je ne sais rien d’autre qu’il était musicien, comme moi. J’ai pensé très fort à Antoine Di Mauro, et mes mains ont caressé les bois comme si elles étaient à la recherche de ses gestes de luthier. J’ai procédé à un petit nettoyage, délicatement, puis j’ai changé les cordes, une par une. Des Argentine 10/45 bien sûr. Je l’ai accordée un peu en dessous du diapason normal, pour lui laisser le temps. Elle a d’abord bafouillée et je n’ai pas compris ce qu’elle a dit. Un réveil après une longue nuit, ça se respecte. Puis l’accordage s’est stabilisé et j’ai posé un accord de Sol mineur6, doucement, comme pour lui dire « n’ai pas peur, je suis bienveillant ». Elle s’est laissée faire, rassurée. J’ai placé quelques accords jazz et j’ai senti qu’elle se réveillait. Elle m’a encouragé et j’ai titillé sa chanterelle, déjà brillante. J’ai su tout de suite qu’elle avait un beau timbre, si caractéristique des guitares fabriquées par nos géniaux luthiers Italiens de Paris. Cela fait un bon mois maintenant, et le miracle s’accomplit. La belle retrouve sa voix de stentor et m’entraine dans le swing du hot club de France. C’est elle qui me réveille.
Merci talentueux luthiers d’hier et d’aujourd’hui, merci Django, merci l’homme de la photo, merci C…, merci la vie.